"La tête au Carreau"

Publié le par ACFOS

Livre de TARABBO, Antoine (2006). « La tête au carreau ». Editions du Fox, Paris.

Pris de vertiges et de troubles auditifs, François Vivier, le héros de ce livre, se retrouve à l’hôpital dans la salle quatorze. C’est dans ce lieu particulier qu’il se remémorera ses premières confrontations avec sa surdité. Tout en évoquant le silence et sa condition de demi sourd qui lui fait mettre la tête au carreau, le héros raconte sa passion des mots. Ses mots chéris lui ouvrent d’innombrables portes à la vie : mots d’ici ou d’outre-mer, mots du ruisseau, mots du monde, mots alizés. Mots compagnons ! et aux sensations : mots exotiques, prometteurs d’alizés, regorgeant de senteurs d’épices ou de sucs de jungle. François Vivier est un mangeur de livres : j’ai chaussé des bottes de sept lieues. Et je suis en train de dévorer le livre, à des kilomètres de là, comme un ogre qui sent la lettre fraîche. La lecture lui permet de s’isoler des autres : Je languis le début de la nuit pour dresser mon théâtre d’ombre, pour lever un véritable mur d’intimité autour de ma lecture.

Alors qu’un des camarades de la salle quatorze formule cette phrase : la tête au carreau avec tout son baratin ! le héros la perçoit de toutes les fibres de son corps : Je déguste instantanément l’expression comme une baie exotique ! Superbe conflagration poétique ! La tête au carré, expression triviale, aux rudes accents mâles, percute en plein vol la guêpe qui s’obstine désespérément contre la vitre ! La tête au carreau ! L’expression désigne son état nerveux en fin d’après-midi ou en début de soirée, intégralement saturé par les bruits amplifiés et répercutés par [ses] renforts auditifs, proprement dévasté par la tension continue de la journée, par la course incessante aux formats labiaux. Plus loin, on apprend que François Vivier possède une riche collection de cafards, dûment étiquetés dans leurs bocaux mémoriels, souvent parfaitement datés, leurs motifs encore lisibles malgré le temps. Si des vagues de mélancolie saisissent quelquefois le héros du livre, comme le témoigne ce passage : être sourd, à quelque degré que ce soit, c’est aussi cette absence, ces pans entiers de vie qui se perdent, sont perdus, se perdront, à tout jamais, et dont on est passablement malheureux ou insidieusement coupable, les mots qu’il lit et écrit sont loin d’être tristes ! Du pôle Nord au pôle Sud, promenez-moi mes chers mots ! Ce soir je suis immensément vide et je ne peux rien pour moi ! Ohé vieux dico, à l’aide, S.O.S, sauve mon âme qui se noie dans l’ennui ! François, personnage inspiré de l’expérience de l’auteur lui-même malentendant, parvient à transformer son appel aux mots en une écriture florissante qui dessine un visage et un sourire.

Note de lecture de Mélanie Hamm, LISEC - EA 2310

(Laboratoire Interdisciplinaire des Sciences de l’Education et de la Communication)

Retrouvez également la présentation faite par Acfos dans "Connaissances Surdités" : http://www.acfos.org/sedocumenter/livres/index.php 

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